Bactériophages et protéines : la lutte contre l’antibiorésistance explore de nouvelles pistes

Recherche médicale en traitement des maladies bactériennes

Face à la menace grandissante des bactéries résistantes aux antibiotiques, qui pourrait causer des dizaines de millions de morts d’ici 25 ans, plusieurs équipes scientifiques proposent des solutions innovantes et prometteuses. Rôle des protéines des bactéries, virus bactériophages, perturbation du mécanisme de défense : plusieurs approches sont envisagées, même si les applications effectives en sont encore au tâtonnement.

La résistance aux antibiotiques constitue une préoccupation sanitaire mondiale majeure selon une étude publiée le 28 avril 2025 dans la revue Nature Communications. Ce phénomène, qui entraîne des impasses thérapeutiques alarmantes, a déjà causé plus d’un million de décès à l’échelle mondiale et pourrait s’aggraver considérablement.

L’étude coordonnée par l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) français présente une piste encourageante. Les chercheurs ont identifié une protéine nommée « Mfd », présente dans toutes les bactéries, qui joue un double rôle : résister au système immunitaire de l’hôte et favoriser les mutations bactériennes. En utilisant une molécule bloquant cette protéine, ils sont parvenus à désarmer les bactéries pathogènes face au système immunitaire sans affecter les bactéries bénéfiques.

Les résultats, observés chez des insectes et des souris, montrent une réduction significative de la quantité de bactéries pathogènes ainsi qu’une diminution de leur capacité à développer des résistances.

Cette recherche s’ajoute à une autre étude publiée au printemps 2024 dans Nature, dirigée par le biochimiste américain Paul Hergenrother. Son équipe a découvert une molécule capable de perturber un mécanisme spécifique aux bactéries à Gram négatif, particulièrement sujettes au développement d’une antibiorésistance. Leurs expérimentations sur des souris ont permis d’éliminer ces bactéries sans perturber le microbiote intestinal.

Selon Nalini Rama Rao, qui a supervisé l’étude de l’Inrae, les deux approches sont « complémentaires et prometteuses », bien que fonctionnant selon des mécanismes différents. Néanmoins, leur efficacité chez l’humain reste à démontrer par des essais cliniques qui prendront plusieurs années.

Une troisième voie explore l’utilisation de « bactériophages », des virus capables de cibler et détruire les bactéries dangereuses sans nuire à l’organisme. Cette approche, déjà testée chez l’humain avec des résultats encourageants, se heurte toutefois à la grande diversité de ces virus, rendant difficile la composition du cocktail adapté à chaque infection.

Pour surmonter cet obstacle, des chercheurs de l’Inserm ont publié fin 2024 dans Nature Microbiology une étude utilisant l’intelligence artificielle. En s’appuyant sur une vaste base de données sur les bactériophages, ils ont développé un algorithme capable de proposer des mélanges sur mesure contre différentes souches d’Escherichia coli. Les tests ont révélé une efficacité de 90 %, ouvrant la voie à des phagothérapies personnalisées.

L’usage excessif d’antibiotiques, tant chez l’humain que chez les animaux, demeure l’une des principales causes de l’antibiorésistance. Les autorités sanitaires mondiales continuent donc de sensibiliser à leur utilisation raisonnée, rappelant que ces médicaments sont inefficaces contre les infections virales.

L’antibiorésistance : un enjeu majeur de santé publique

L’antibiorésistance, capacité des bactéries à devenir résistantes aux antibiotiques, rend inefficaces ces médicaments devenus incontournables depuis le début du xxe siècle. Ce phénomène s’est considérablement amplifié depuis les années 2000, menaçant les progrès médicaux réalisés depuis plus de 70 ans.

Les bactéries exposées aux antibiotiques évoluent en développant des mécanismes de défense par mutation génétique ou par transfert d’ADN entre elles. Cette résistance touche autant les bactéries pathogènes que commensales, présentes chez l’humain, les animaux et dans l’environnement, favorisant une diffusion généralisée du phénomène.

En France, plus de 120 000 infections dues à des bactéries résistantes sont recensées chaque année, associées à environ 5500 décès. En Europe, ces infections causent 35 000 morts annuellement, un impact comparable à celui de la grippe, de la tuberculose et du VIH/SIDA réunis. Selon les projections de l’OCDE, 2,4 millions de personnes pourraient mourir d’infections résistantes en Europe, Amérique du Nord et Australie entre 2015 et 2050, dont 238 000 en France.

L’impact économique est tout aussi alarmant. Le coût des soins s’élèverait à plus de 1,5 milliard d’euros en Europe. En France, la surconsommation d’antibiotiques engendre une dépense supplémentaire estimée entre 70 et 440 millions d’euros par an. L’antibiorésistance aurait coûté globalement 109,3 millions d’euros à la France en 2015. D’ici 2050, ces coûts pourraient atteindre 11,3 milliards de dollars.

Les conséquences de ce phénomène sont multiples : maladies plus longues et difficiles à soigner, complications accrues, nécessité de recourir à des médicaments plus puissants et onéreux, risques accrus lors d’interventions médicales et décès causés par des infections autrefois banales. Sans antibiotiques efficaces, les avancées en chirurgie complexe, greffes d’organes, néonatalogie ou réanimation seraient compromises.

Malgré la gravité de la situation, un sondage IFOP de 2017 révèle qu’un Français sur deux connaît mal ou pas du tout cette notion, ne percevant pas la problématique dans sa globalité, notamment l’impact des antibiotiques dans l’élevage ou l’environnement.

Les antibiotiques, centenaire d’une révolution médicale

En 1928, le médecin et biologiste britannique Alexander Fleming (1881-1955) mettait en évidence l’action d’un genre de champignons deutéromycètes, le Penicillium, sur les bactéries. Cette découverte, qui a donné naissance au premier antibiotique, la pénicilline, a révolutionné la médecine en diminuant très largement le nombre de décès par infections bactériennes, très courantes avant l’invention des antibiotiques. Première cause de mortalité en 1940, les maladies bactériennes ne sont aujourd’hui responsables que de 2 % des décès en France.

André Roussainville

Glossaire

Antibiorésistance : phénomène par lequel des bactéries évoluent de telle manière que les antibiotiques ne les éliminent plus, causant des impasses thérapeutiques alarmantes.

Mfd : protéine présente dans toutes les bactéries qui joue un double rôle : résister au système immunitaire de l’hôte et favoriser des mutations de la bactérie.

Bactériophages : virus capables de tuer les bactéries dangereuses sans mettre en danger l’organisme humain, utilisés comme alternative aux antibiotiques. Il s’agit de virus n’infectant que des bactéries. Présents dans toute la biosphère, ils sont particulièrement abondants dans les milieux riches en bactéries..

Bactéries à Gram négatif : catégorie de bactéries particulièrement sujettes à la résistance aux antibiotiques, ciblées par certaines recherches récentes.

Phagothérapie : traitement médical utilisant des bactériophages pour combattre les infections bactériennes résistantes aux antibiotiques.

Microbiote intestinal : ensemble des micro-organismes (bactéries, virus, champignons) présents dans l’intestin dont l’équilibre est important à préserver lors des traitements.

Anti-virulent : type de molécule qui perturbe les mécanismes de virulence des bactéries sans nécessairement les tuer, approche étudiée pour contrer l’antibiorésistance.

Escherichia coli : espèce de bactéries du genre de bacilles à Gram négatif Escherichia, fréquemment utilisée dans les études sur l’antibiorésistance et la phagothérapie.

Essais cliniques : études scientifiques menées sur des humains pour tester l’efficacité et la sécurité de nouvelles molécules ou traitements avant leur approbation.

Thérapies personnalisées : approches médicales adaptées à chaque patient, comme les mélanges sur mesure de bactériophages développés grâce à l’intelligence artificielle.

Ressources et liens

Ressource : Antibiorésistance : vers des médicaments pour désarmer les bactéries (inrae.fr)

Ressource : An anti-virulence drug targeting the evolvability protein Mfd protects against infections with antimicrobial resistant ESKAPE pathogens (nature.com)

Ressource : Fiches maladies : Résistance aux antibiotiques (pasteur.fr)

Ressource : L’antibiorésistance : pourquoi est-ce si grave ? (sante.gouv.fr)

Ressource : Les antibiotiques : des médicaments essentiels à préserver (sante.gouv.fr)

Entités liées

Antibiorésistance, antibiotiques, bactéries résistantes, bactéries à Gram négatif, bactériophages, impasse thérapeutique, Inrae, Inserm, intelligence artificielle appliquée à la médecine, microbiote, multirésistance, mutations génétiques, Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), phagothérapie, protéine Mfd, pénicilline, santé publique

Entités nommées fréquentes : Europe, France, Gram, Inrae, Mfd.