Jeunesse et éducation | Le 23 septembre 2025, par André Roussainville. Temps de lecture : neuf minutes.
littérature & sciences humaines
Jeunesse et éducation | Le 23 septembre 2025, par André Roussainville. Temps de lecture : neuf minutes.
Santé publique et addictologie
L’Observatoire français des drogues (OFDT) publié début septembre une synthèse de principaux résultats de la dernière enquête European School Survey Project on Alcohol and other Drugs (ESPAD) réalisée dans 37 pays européens en 2024. Ces données révèlent une chute marquée de la consommation de substances psychoactives chez les adolescents français. Cette tendance pourrait s’expliquer par plusieurs facteurs combinés : la mise en place de politiques de prévention renforcées, l’augmentation régulière des prix, mais aussi la transformation des mentalités et des modes de socialisation au sein des jeunes générations. Des défis et des risques nouveaux émergent toutefois pour ces nouvelles générations.
En 2024, seuls 20 % des jeunes Français de 16 ans déclaraient avoir déjà consommé du tabac, et 8,4 % du cannabis. Soit un des niveaux les plus faibles d’Europe. C’est l’un des principaux constats de la nouvelle édition de l’enquête European School Survey Project on Alcohol and other Drugs (ESPAD), réalisée dans 37 pays européens en 2024. Ces données de l’étude européenne, récemment relayée par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), témoignent d’une évolution majeure des comportements adolescents.
Cette tendance à la baisse s’avère particulièrement marquée par rapport à 2015, avec cinq fois moins de fumeurs quotidiens et trois fois moins de jeunes ayant expérimenté le cannabis. Une évolution qui illustre ce que Nicolas Prisse, président de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, qualifie de « prise de conscience, dans la société, des effets délétères » de l’usage des drogues, en particulier chez les jeunes.
En dix ans, la part des adolescents de 16 ans fumant tous les jours des cigarettes a été divisée par cinq, passant d’environ 16 % en 2015 à 3,1 % en 2024, ce qui place la France parmi les pays européens comptant le moins de fumeurs quotidiens à l’adolescence, aux côtés d’une dizaine de pays, principalement nordiques, où la prévalence est inférieure à 5 %.
ESPAD 2024 sur les usages de drogues en Europe / ofdt.fr
Cette transformation peut s’expliquer, selon l’OFDT, par plusieurs facteurs convergents. Pour le tabac, « l’arsenal de régulation » mis en place – augmentation constante des prix, paquet neutre, interdiction de vente aux mineurs – a rendu sa consommation « moins populaire chez les jeunes », entraînant mécaniquement celle du cannabis, autre « produit à fumer ».
Cet évitement est toutefois plus marqué que pour l’alcool, même si sa consommation a diminué de manière constante au cours des 30 dernières années. Ainsi, à 16 ans, sept jeunes Français sur dix (68 %) ont expérimenté l’alcool, avec un léger déséquilibre de genre – 67 % des garçons, 70 % des filles, les jeunes filles étant désormais plus nombreuses à experimenter que les garçons. L’enquête de l’ESPAD pointe d’ailleurs une autre inégalité entre les sexes, celle de la santé mentale, d’après l’indice de bien-être OMS-5 établi par l’Organisation mondiale de la santé : « Dans l’ensemble, 59 % des jeunes ont déclaré se sentir bien [...], les garçons (70 %) obtenant systématiquement des scores plus élevés que les filles (49 %) dans tous les pays ».
L’alcool conserve en effet sa place centrale dans la socialisation adolescente. Sept jeunes sur dix l’avaient déjà expérimenté en 2024, avec une fréquence notable d’« alcoolisations ponctuelles importantes » (binge drinking), soit au moins cinq verres lors d’une même occasion. Du point de vue des stratégies de prévention, l’accent mis sur le bien-être mental des adolescents, et les programmes et activités de prévention axés sur le développement d’aptitudes personnelles et sociales chez les élèves, pourraient constituer un levier efficace pour transformer les pratiques.
Alors que la consommation de substances psychoactives chez les élèves âgés de 15 à 16 ans en Europe continue de baisser à long terme, de nouveaux risques comportementaux et sanitaires apparaissent.
Nouveaux résultats de l’enquête ESPAD / espad.org
Selon les enquêteurs de l’ESPAD, cette amélioration globale ne doit cependant pas masquer l’émergence de nouveaux défis. Les industriels « sont très inventifs en termes de tendances et de propositions d’offres sur le marché », souligne ainsi Nicolas Prisse. Les « puffs », cigarettes électroniques jetables interdites depuis février 2024 mais toujours vendues clandestinement, illustrent cette adaptation constante. Leur attrait réside dans leurs parfums fruités et leur apparence inoffensive, trompant la vigilance des adolescents malgré leur conscience de la nocivité de ces produits.
L’ESPAD pointe également d’autres risques émergents, parmi lesquels l’usage non médical de médicaments, qui « reste préoccupant », et la forte hausse des jeux en ligne et des paris, fortement addictogènes, chez les adolescents. Les résultats révèlent en outre une augmentation notable des comportements à risque chez les filles dans plusieurs domaines. L’utilisation des réseaux sociaux, les jeux vidéo et les jeux d’argent sont également abordés.
Les jeux d’argent en ligne ont ainsi fortement augmenté dans les pratiques des adolescents, 14 % des répondants déclarant cette pratique en 2024, soit un peu moins du double de 2019. Cette augmentation a été particulièrement prononcée chez les filles, dont la pratique des jeux d’argent en ligne a triplé, passant de 3 % à 9 % entre 2019 et 2024, et ce dans 32 pays.
Les jeux vidéo ont eux aussi encore gagné en faveur auprès des jeunes au cours des deux dernières décennies, largement popularisés par les smartphones et les tablettes. Autrefois activité principalement masculine, cette pratique est elle aussi devenue de plus en plus courante chez les filles.
Enfin, en ce qui concerne l’utilisation des réseaux sociaux, près de la moitié des élèves (47 %) ont déclaré en avoir une « utilisation problématique », une hausse sensible par rapport à 2015 (38 %). Les filles ont, là encore, déclaré des niveaux plus élevés que les garçons, et ce dans tous les pays concernés.
Une vaste enquête menée en 2022 par l’OFDT sur 23 000 Français de 17 ans confirmait déjà cette tendance baissière, démontrant que « la bataille de la dénormalisation » des substances psychoactives progresse significativement chez les nouvelles générations.
Le projet européen d’enquête en milieu scolaire sur l’alcool et d’autres drogues (European School Survey Project on Alcohol and Other Drugs, ESPAD) est un réseau collaboratif d’équipes de recherche indépendantes, présentes dans plus de 40 pays européens ; il s’agit du plus grand projet de recherche transnational au monde sur la consommation de substances et autres comportements à risque chez les adolescents. Il est coordonné par l’équipe italienne de l’ESPAD à l’Institut de physiologie clinique – Conseil national de la recherche italien (CNR-IFC).
L’Agence européenne des drogues (European Union Drugs Agency, EUDA), qui collabore à l’enquête, prépare et partage des connaissances, alertes et recommandations indépendantes en matière de drogues en Europe.
André Roussainville
Ressource : Les usages de drogues en Europe à 16 ans – Résultats ESPAD 2024 (ofdt.fr)
Ressource : New ESPAD survey results: Teen substance use down, but new risks emerging (espad.org)
Ressource : European Drug Report 2025: Trends and Developments (euda.europa.eu)
Ressource : Drogues et addictions, chiffres clés 2025 (ofdt.fr)
Ressource : Lutte contre les drogues : les adolescents français, bons élèves de l’Europe (radiofrance.fr)
Ressource : L’indice (en cinq points) de bien-être à cinq de l'OMS (OMS-5) (who.int)
Ressource : Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) (ofdt.fr)
Ressource : European School Survey Project on Alcohol and Other Drugs (ESPAD) (espad.org)
Ressource : European Union Drugs Agency (EUDA) (euda.europa.eu)
Addiction : situation qui se caractérise par la perte de contrôle d’une personne sur sa consommation d’un produit psychoactif ou sa pratique d’une activité.
Addictovigilance : surveillance, évaluation, prévention et gestion du risque d’abus, d’usage détourné et de pharmacodépendance lié à la consommation, qu’elle soit médicamenteuse ou non, de toute substance psychoactive (plante ou produit), à l’exclusion de l’alcool et du tabac.
Alcoolisation ponctuelle importante (API ; binge drinking) : désigne le fait d’avoir bu 6 verres standards ou plus, en une seule occasion, chez l’adulte, et 5 verres standards ou plus chez l’adolescent.
Cigarette électronique : dispositif électronique qui génère, à partir de mélanges de substances chimiques appelés e-liquides, un aérosol (abusivement appelé "vapeur") destiné à être inhalé.
Dépendance : situation dans laquelle l’arrêt brutal d’une substance prise régulièrement entraine un syndrome de sevrage.
Jeux d’argent et de hasard (JAH) : ensemble de jeux faisant naître l’espérance d’un gain dû, même partiellement, au hasard, et pour lesquels un sacrifice financier est exigé de la part des participants.
Addictologie, OFDT, tabagisme, cannabis, alcoolisme, binge drinking, cigarette électronique, prévention sanitaire, adolescence, santé mentale.
Entités nommées fréquentes : OFDT, ESPAD, Europe, Français, European School Survey Project, Alcohol, Observatoire.
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