Nature et biologie | Le 7 octobre 2025, par Raphaël Deuff. Temps de lecture : huit minutes.
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Nature et biologie | Le 7 octobre 2025, par Raphaël Deuff. Temps de lecture : huit minutes.
Remise de récompense internationale à Stockholm (Suède)
Le prix Nobel de Physique 2025 a récompensé, ce mardi 7 octobre, les travaux de John Clarke, Michel Devoret et John Martinis pour une avancée majeure qui rapproche les lois étranges de la mécanique quantique de notre réalité quotidienne. Leurs recherches ont mis en lumière la manifestation d’un phénomène typiquement quantique, l’effet tunnel, à l’échelle d’un objet « macroscopique » — c’est-à-dire suffisamment grand pour être perceptible à l’œil nu ou manipulable.
Imaginez que vous possédiez une balle qui, au lieu de rebondir, puisse traverser un mur : c’est un peu l’idée de la mécanique quantique, mais d’habitude, on ne voit ça qu’avec des particules toutes petites, comme des électrons.
Le 7 octobre 2025, l’Académie royale des sciences de Suède a décerné le prix Nobel de physique à John Clarke, Michel Devoret et John Martinis, pour leurs travaux démontrant que les propriétés quantiques peuvent se manifester à une échelle macroscopique. Leurs expériences menées en 1984 et 1985 à l’université de Californie, à Berkeley, ont révolutionné la compréhension de la frontière entre les mondes microscopique et macroscopique en physique quantique.
La mécanique quantique décrit habituellement des phénomènes qui concernent des particules individuelles. À cette échelle microscopique se produisent des événements contre-intuitifs comme l’effet tunnel, où une particule peut traverser une barrière comme si elle franchissait un mur solide. À l’inverse, les objets macroscopiques constitués d’une quantité astronomique de molécules, comme une balle ordinaire, ne présentent aucun effet quantique observable et suivent des comportements prévisibles selon la physique classique.
Pourtant, les trois lauréats ont réussi à induire ces comportements sur un système beaucoup plus large. Ils ont pour cela construit un circuit électrique composé de deux supraconducteurs, des matériaux capables de conduire un courant sans aucune résistance électrique. Séparés par une fine couche isolante formant ce qu’on appelle une jonction Josephson, ces composants ont créé un système dans lequel toutes les particules chargées se comportaient à l’unisson, comme si elles formaient une seule particule géante remplissant l’ensemble du circuit. Cette disposition a permis d’observer l’effet tunnel à une échelle macroscopique, le système échappant d’un état de tension nulle pour générer une tension électrique mesurable.
L’expérience s’appuyait sur des décennies de développements théoriques et expérimentaux. L’effet tunnel pour les particules individuelles était connu depuis 1928, lorsque George Gamow avait compris qu’il expliquait certains types de désintégration nucléaire. Dans les années 1970, les travaux de Brian Josephson sur les jonctions supraconductrices et ceux d’Anthony Leggett sur l’effet tunnel quantique macroscopique avaient préparé le terrain pour ces nouvelles expériences.
Le dispositif exploitait les propriétés des supraconducteurs, où les électrons s’assemblent en paires de Cooper, du nom de Leon Cooper qui avait décrit ce phénomène en 1972. Contrairement aux électrons individuels qui maintiennent leur intégrité, ces paires perdent une partie de leur individualité et peuvent être décrites comme une seule fonction d’onde, un système quantique unique. Cette fonction d’onde commune à des milliards de paires de Cooper constituait la clé permettant d’observer des effets quantiques à l’échelle macroscopique.
Michel Devoret avait rejoint le groupe de recherche de John Clarke après son doctorat à Paris, tandis que John Martinis y effectuait sa thèse. Ensemble, ils ont injecté un faible courant dans la jonction Josephson et mesuré la tension. Initialement nulle comme prévu, cette tension finissait par apparaître lorsque le système échappait de son état piégé par effet tunnel. En effectuant de nombreuses mesures statistiques, comparables à celles utilisées pour déterminer la demi-vie des noyaux atomiques, ils ont pu caractériser précisément ce phénomène.
Les chercheurs ont également démontré que le système présentait des niveaux d’énergie quantifiés, une propriété fondamentale de la mécanique quantique qui donne son nom à cette discipline. En introduisant des micro-ondes de différentes longueurs d’onde, ils ont observé que certaines étaient absorbées, faisant passer le système à un niveau d’énergie supérieur. Le temps de maintien dans l’état de tension nulle variait selon l’énergie du système, conformément aux prédictions théoriques.
Cette expérience diffère d’autres phénomènes quantiques macroscopiques comme les lasers ou les supraconducteurs, qui résultent de la combinaison de nombreux éléments microscopiques individuels. Ici, l’effet macroscopique provient directement d’un état en soi macroscopique, avec une fonction d’onde commune à un grand nombre de particules. Anthony Leggett a comparé ce système à l’expérience de pensée du chat de Schrödinger, soulignant qu’il s’agissait d’un véritable système macroscopique se comportant selon les lois quantiques.
Les applications pratiques de ces travaux se sont avérées considérables. Le système peut être considéré comme un atome artificiel à grande échelle, équipé de câbles et de connexions permettant de nouvelles expériences ou technologies. John Martinis a notamment utilisé ces circuits avec états quantifiés comme bits quantiques dans des expériences sur l’ordinateur quantique, l’état d’énergie le plus bas représentant le zéro et le premier niveau excité le un. Les circuits supraconducteurs constituent aujourd’hui l’une des principales voies explorées pour construire les futurs ordinateurs quantiques.
Au-delà des avantages pratiques, ces travaux ont enrichi la compréhension théorique de la physique quantique en démontrant que des systèmes macroscopiques composés de nombreuses particules peuvent présenter des propriétés quantiques collectives. John Clarke est professeur à l’université de Californie à Berkeley, Michel Devoret enseigne à l’université Yale et à l’université de Californie à Santa Barbara, tandis que John Martinis est également professeur à l’université de Californie à Santa Barbara. Leur découverte de l’effet tunnel macroscopique et de la quantification de l’énergie dans un circuit électrique a ainsi ouvert de nouvelles perspectives tant expérimentales que conceptuelles en physique quantique.
Raphaël Deuff
Communiqué de presse : Their experiments on a chip revealed quantum physics in action (nobelprize.org)
Vidéo de la proclamation : “This brings quantum physics from the subatomic world onto a chip” (nobelprize.org)
Portail : The Nobel Prize (nobelprize.org)
Portail : The Royal Swedish Academy of Sciences (kva.se)
John Clarke est né 1942 à Cambridge, au Royaume-Uni. Il soutient son doctorat en 1968, dans l'université de sa ville natale. Il enseigne aujourd'hui à l'Université de Californie, aux États-Unis.
Michel H. Devoret est né en 1953 à Paris. Il obtient un doctorat auprès de l'université Paris-Sud, en 1982. Il est aujourd'hui professeur à l'université Yale (New Haven, Connecticut) et à l'Université de Californie, à Santa Barbara.
John M. Martinis est né en 1958, et soutient un doctorat en 1987, au sein de l'université de Californie, où il enseigne.
Mécanique quantique, effet tunnel, supraconducteur, paires de Cooper, jonction Josephson, fonction d'onde, quantification de l'énergie, ordinateur quantique, bit quantique.
Entités nommées fréquentes : John Clarke, John Martinis, Michel Devoret, Californie, Santa Barbara, Cooper, Josephson.
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