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Littérature | Le 15 mars 2021, par Sambuc éditeur. Temps de lecture : onze minutes.


« Semaine de la Francophonie »

Octave Crémazie et la littérature québécoise

La poésie patriotique et l’émergence littéraire du Canada français

Poète érudit, libraire, historien du Canada français, Octave Crémazie laisse une œuvre marquée par le patriotisme et le romantisme du xixe siècle. Mais celui qui sera consacré, très tôt, « poète national » du Québec, marque surtout la littérature par ses lettres et sa correspondance, qu’il fait publier en 1866, et qui livre sa réflexion sur l’émergence d’une langue française-québécoise propre, enrichissant le français de l’univers particulier du pays d’outre-Atlantique, de son histoire, et de la culture de son peuple au destin singulier. Au-delà du folklore québécois, c’est la construction même d’une langue que son œuvre interroge.

© Sambuc éditeur, 2024

Octave Crémazie naît en 1827 à Québec. Fils de l’homme d’affaires Jacques Crémazie et de Marie-Anne Miville, Octave est la onzième progéniture d’une famille de douze fils et filles, dont huit moururent en bas âge, et le cadet de ses trois frères Jacques, Joseph et Louis. À partir de 1836, il étudie au Séminaire de Québec, ancienne communauté de prêtres diocésains fondée en 1663 et qui deviendra l’Université Laval. Ses études révéleront sa vive intelligence ; à la même époque, son intérêt pour la littérature commence à prendre forme, et Crémazie s’initie aux œuvres des poètes romantiques français (Victor Hugo, Alfred de Musset, Alphonse Lamartine), qui marqueront durablement son activité et ses goûts littéraires.

Laissant ses études inachevées, et entamant une carrière dans le commerce, il s’associe en 1844 à la librairie de son frère Joseph, qui devient la Librairie J. et O. Crémazie. Le lieu sera rapidement le foyer d’un cercle littéraire influent, diffusant des idées nouvelles, le Mouvement patriotique et littéraire québécois.

Entre 1850 et 1856, il voyage en Europe occidentale pour importer des produits de luxe dans le nouveau continent. Il publie, à la même période, ses premiers poèmes dans le Journal de Québec. Crémazie est très proche des vues esthétiques et idéologiques de François-Xavier Garneau, écrivain fondateur de la littérature canadienne française, et auteur d’une Histoire du Canada.

L’écrivain compose alors des poèmes patriotiques, très inspirés de l’œuvre des Romantiques français, et qui prennent pour sujet l’histoire de la France et du Canada.

Ces écrits sur la Nouvelle-France (qui deviendra le Québec) le font rapidement connaître dans le pays : une de ses pièces les plus fameuses, le poème Le Vieux Soldat canadien (1855), célèbre son amour de la France et de sa patrie et rend hommage à Napoléon III. Il est écrit à l’occasion de l’arrivée à Québec, en 1855, de la corvette française La Capricieuse envoyée par l’empereur pour rétablir des liens avec le Canada.

La plus célèbre de ses pièces poétiques reste toutefois Le Drapeau de Carillon (1858), qui commémore le centenaire de la victoire française à la bataille de Carillon, avant la défaite définitive des Français dans les plaines d’Abraham. Le poème évoque un vétéran qui a pris part à la bataille de Fort Carillon sous la direction de Louis-Joseph de Montcalm. Le vieux soldat conserve comme une relique la bannière royale ornée de fleurs de lys, sous laquelle il a combattu les envahisseurs Anglais. Révolté par l’oppression anglaise, il entreprend de se rendre à Versailles pour demander l’aide du roi de France. Ses espoirs seront déçus par le désintérêt de la Couronne pour les Canadiens…

De nos bords s’élevaient de longs gémissements,
Comme ceux d’un enfant qu’on arrache à sa mère ;
Et le peuple attendait plein de frémissements,
En implorant le ciel dans sa douleur amère,
Le jour où pour la France et son nom triomphant
Il donnerait encore et son sang et sa vie ;
Car, privé des rayons de ce soleil ardent,
Il était exilé dans sa propre patrie.

Comme au doux souvenir de la sainte Sion
Israël en exil avait brisé sa lyre,
Et, du maître étranger souffrant l’oppression,
Jetait au ciel le cri d’un impuissant délire,
Tous nos fiers paysans de leurs joyeuses voix
N’éveillaient plus l’écho qui dormait sur nos rives ;
Regrettant et pleurant les beaux jours d’autrefois,
Leurs chants ne trouvaient plus que des notes plaintives.

L’intrépide guerrier que l’on vit des lis d’or
Porter à Carillon l’éclatante bannière,
Vivait au milieu d’eux. Il conservait encor
Ce fier drapeau qu’aux jours de la lutte dernière,
On voyait dans sa main briller au premier rang.
Ce glorieux témoin de ses nombreux faits d’armes,
Qu’il avait tant de fois arrosé de son sang,
Il venait chaque soir l’arroser de ses larmes.

« Le drapeau de Carillon », 1er janvier 1858, strophes 4-6.

La scène finale du poème, mélancolique, évoque la visite des ruines du fort Carillon par le vieux soldat, de retour au Québec, qui rend le souffle en embrassant sa bannière. Ce ton patriotique dans l’œuvre de Crémazie, très fort dans les œuvres de cette période et vivement apprécié par ses concitoyens, contribuera à faire de lui le « poète national » du Québec.

En 1861, Octave Crémazie lance, avec les autres écrivains de ce qui deviendra « l’École littéraire de Québec », la publication de la revue mensuelle Les Soirées Canadiennes, rassemblant des articles sur la littérature et l’histoire du pays. Associé à des soirées littéraires, le périodique vise à valoriser le folklore du Canada francophone.

Criblé de dettes suite à la faillite de sa librairie, dès le début des années 1860, Crémazie se réfugie en France, où il vivra sous le pseudonyme de Jules Fontaine, recevant de sa patrie une aide matérielle occasionnelle. C’est de cette période, où il vit dans la pauvreté et la désillusion, que date la Promenade des trois morts, restée inachevée. Le poète est également le témoin des événements de 1870-1871 de la guerre franco-prussienne, et tient un Journal du siège de Paris.

Le soir est triste et froid. La lune solitaire
Donne comme à regret ses rayons à la terre ;
Le vent de la forêt jette un cri déchirant ;
Le flot du Saint-Laurent semble une voix qui pleure,
Et la cloche d’airain fait vibrer d’heure en heure
Dans le ciel nuageux son glas retentissant.

C’est le premier novembre. Au fond du cimetière,
On entend chaque mort remuer dans sa bière ;
Le travail du ver semble un instant arrêté.
Ramenant leur linceul sur leur poitrine nue,
Les morts, en soupirant une plainte inconnue,
Se lèvent dans leur morne et sombre majesté.

Drapés, comme des rois, dans leurs manteaux funèbres,
Ils marchent en silence au milieu des ténèbres
Et foulent les tombeaux qu’ils viennent de briser.
Heureux de se revoir, trois compagnons de vie
Se donnent, en pressant leur main roide et flétrie,
De leur bouche sans lèvre un horrible baiser.

« Promenade de trois morts. Fantaisie », poème inachevé, Québec, octobre 1862, premières strophes.

En 1866, il fera paraître ses Lettres et fragments de lettres, qui témoignent de ses préoccupations littéraires. En prônant la création d’une langue littéraire canadienne-française, afin de constituer la littérature nationale du Québec, le poète devient un pionnier de la littérature québécoise, qui prendra forme avec l’affirmation, au xxe siècle, de la conscience nationale des Canadiens français. La langue et la littérature québécoises devaient, déjà pour Crémazie, refléter l’atmosphère et les paysages particuliers du Québec, sa culture imprégnée de son histoire.

Plus je réfléchis sur les destinées de la littérature canadienne, moins je lui trouve de chances de laisser une trace dans l’histoire. Ce qui manque au Canada, c’est d’avoir une langue à lui. Si nous parlions iroquois ou huron, notre littérature vivrait. Malheureusement nous parlons et écrivons d’une assez piteuse façon, il est vrai, la langue de Bossuet et de Racine. Nous avons beau dire et beau faire, nous ne serons toujours, au point de vue littéraire, qu’une simple colonie; et quand bien même le Canada deviendrait un pays indépendant et ferait briller son drapeau au soleil des nations, nous n’en demeurerions pas moins de simples colons littéraires.

Octave Crémazie, lettre à l’abbé Casgrain du 10 août 1866.

Je le répète, si nous parlions huron ou iroquois, les travaux de nos écrivains attireraient l’attention du vieux monde. Cette langue mâle et nerveuse, née dans les forêts de l’Amérique, aurait cette poésie du cru qui fait les délices de l’étranger. On se pâmerait devant un roman ou un poème traduit de l’iroquois, tandis que l’on ne prend pas la peine de lire un livre écrit en français par un colon de Québec ou de Montréal. Depuis vingt ans, on publie chaque année, en France, des traductions de romans russes, scandinaves, roumains. Supposez ces mêmes livres écrits en français, ils ne trouveraient pas cinquante lecteurs…

Idem.

Marquée plusieurs années par un tournant nationaliste à la rhétorique parfois rigide, cette préoccupation pour une « littérature nationale » au Québec prendra un nouvel essor avec des écrivains comme le poète Émile Nelligan (1879–1941), de l’École de Montréal, dont le style symboliste inaugurera l’émergence d’une littérature québécoise autonome.


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Entités nommées fréquentes : Crémazie, Québec, Canada, France, Carillon.


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